Sur quoi travaille actuellement votre groupe de recherche à l’EPFZ ?
Nous étudions les maladies neurodégénératives telles que la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer et, dans ce cadre, nous examinons les bases moléculaires de ces maladies. L’objectif est d’identifier les mécanismes de ces maladies et de trouver de nouvelles approches pharmacologiques. Nous développons également des approches pour un diagnostic non invasif et précis de ces maladies.
Vous avez mis au point un procédé biochimique permettant de détecter les modifications structurelles de milliers de protéines en même temps. Comment fonctionne-t-il exactement ?
La technologie que nous avons développée permet d’étudier les protéines, les principaux régulateurs des processus biologiques dans notre corps, d’une manière totalement nouvelle. Jusqu’à présent, les méthodes utilisées permettaient de mesurer les modifications de concentrations de protéines dans des échantillons biologiques de patients qui jouent un rôle dans le développement des maladies. Notre technologie nous permet de détecter des changements pour des milliers de protéines différentes en même temps, ce qui peut être le signe d’une maladie. Nous avons ainsi récemment identifié environ 75 nouvelles protéines qui changent de forme dans la maladie de Parkinson et qui peuvent servir de marqueurs biologiques pour détecter la maladie. Le même concept peut toutefois être appliqué à n’importe quelle autre maladie. Il recèle un grand potentiel pour l’étude des mécanismes de la maladie et le développement de nouveaux médicaments et de nouvelles approches diagnostiques.
Quand avez-vous réalisé où se situait votre intérêt principal pour la recherche ?
Je me souviens d’un moment pendant mes études de Master à l’Université de Padoue en Italie. J’assistais à un cours de biochimie et le chargé de cours nous a montré l’image d’une gigantesque structure protéique : il s’agissait de l’enzyme ATP synthase, un régulateur crucial de la production d’énergie dans nos cellules. J’étais extrêmement fascinée : cette structure protéique avait l’air à la fois complexe, mystérieuse et belle. À ce moment-là, j’ai su que je pourrais passer ma vie à observer des molécules comme celle-ci pour comprendre ce qu’elles font. Finalement, c’est exactement ce que je fais maintenant.
Observer des protéines ?
Oui, et cela à travers un nouveau type de lentille que mon groupe de recherche est en train de développer.
Quel métier vouliez-vous apprendre lorsque vous étiez enfant ?
Je voulais devenir médecin. Cependant, à l’adolescence, je me suis rendu compte que la souffrance des autres me touchait beaucoup et je me suis dit que cela pourrait m’empêcher de faire mon travail de médecin. J’ai donc commencé à faire de la recherche pour prévenir et guérir les maladies et je trouve cela tout aussi gratifiant maintenant.
Vous avez déjà reçu de nombreux prix pour vos travaux. Quel est le prix qui a le plus compté pour vous et pourquoi ?
Toutes les distinctions que j’ai reçues ont été des reconnaissances importantes pour moi, pour les efforts de mon groupe de recherche et pour mes stagiaires. Si je devais en choisir une, ce serait probablement la médaille d’or de l’EMBO. La personne qui en remporte une fait partie des meilleurs chercheuses et chercheurs au-delà des sciences biologiques et est choisie par des experts de premier plan en Europe et en dehors. Toutefois, les deux bourses ERC que mon groupe a reçues du Conseil européen de la recherche ont également été des reconnaissances très importantes pour notre travail.
A 46 ans, vous avez réalisé ce que d’autres considèrent comme l’œuvre d’une vie. Qu’aimeriez-vous encore absolument réaliser ?
J’aimerais mentionner deux choses. Premièrement, j’espère que nos technologies et nos découvertes apporteront un bénéfice direct et tangible aux personnes touchées par les maladies neurodégénératives. Par exemple, nous essayons actuellement de valider nos marqueurs biologiques candidats auprès d’un grand nombre de personnes. Si nous y parvenons, il y a des chances que les maladies puissent être détectées à un stade précoce et de manière non invasive. Deuxièmement, nous souhaitons étudier les principes fondamentaux de la fonction des protéines. Au cours des douze dernières années, nous avons collecté des données sur plus de 30’000 protéines différentes. Nous étudions ainsi les principes fondamentaux de la dynamique structurelle des protéines. Nous apprenons comment les protéines se déplacent, comment elles changent de forme en réponse à des perturbations et quelles en sont les conséquences.
Où trouvez-vous l’inspiration pour vos recherches ?
Ce qui me motive, c’est de repousser les limites des connaissances actuelles en abordant des problèmes qui existent depuis longtemps d’une manière totalement nouvelle, en appliquant de nouvelles technologies et en découvrant ainsi des aspects totalement nouveaux d’un problème déjà bien étudié. Dans mon groupe de recherche, je favorise une culture qui autorise la créativité, la pensée originale et la prise de risque calculée. Il est également très gratifiant d’interagir avec de jeunes chercheurs et de les guider. Il est important pour moi de créer un environnement de travail sûr, avec une communication ouverte, du soutien et du respect, dans lequel les collègues peuvent se développer tant sur le plan professionnel que personnel. J’encourage également les membres de mon équipe à échanger avec des experts d’autres disciplines lorsque cela s’avère utile pour leurs projets et à participer à des conférences qui ne relèvent pas de notre domaine d’expertise. Je le fais également moi-même. Je crois que les idées originales naissent du croisement de différentes disciplines et de différents modes de pensée.
Dans quelle mesure votre genre a-t-il été un obstacle ou un atout pour avancer dans la recherche ?
On m’a souvent posé cette question et j’y ai beaucoup réfléchi. Je ne crois pas que mon genre ait été un obstacle ou ait permis de faire avancer mes recherches. Tout au long de mon parcours professionnel, j’ai eu la chance d’être toujours entourée de collègues et de mentors qui m’ont soutenue. Je suis toutefois consciente que ce n’est pas le cas de toutes les chercheuses. Il est bien sûr important de rester vigilant et de lutter activement contre les cas de discrimination.
Vous avez deux fils et votre mari travaille à plein temps comme professeur à l’université. Quels conseils donneriez-vous à vos jeunes collègues de sexe féminin ?
Mon message serait qu’il est possible d’être engagé(e) en tant que mère ou père ainsi qu’en tant que scientifique. Il faut toutefois bien planifier les choses. Le partage des tâches ménagères et de la prise en charge des enfants avec son ou sa partenaire doit être égalitaire et le travail quotidien ou les activités liées à la famille doivent être planifiés à l’heure près. Cela demande également une bonne dose d’ironie pour les imprévus du calendrier ! Les temps changent et notre environnement de travail soutient de plus en plus les chercheuses et les chercheurs qui s’efforcent de concilier vie familiale et vie professionnelle. En outre, nous disposons d’une flexibilité exceptionnelle au niveau des horaires, ce qui est très utile.
Paola Picotti
A propos de la personne :
Paola Picotti, née en 1977, est la fille d’une enseignante de mathématiques et d’un employé d’une entreprise d’électronique et a grandi à Udine, près de Trieste. Elle a étudié la biochimie à l’université de Padoue. Son déménagement de Padoue à Zurich en janvier 2007, où elle a obtenu une bourse pour post-doctorants à l‘Institut de biologie systémique moléculaire de l’EPFZ, a été une décision pour l’étude de la protéomique, soit de l’ensemble des protéines et de leurs interactions. Les connaissances à ce sujet sont considérées comme la clef de la compréhension de la santé humaine. Au cours des quatre années passées à l’Institut, la jeune chercheuse a développé une nouvelle méthode d’analyse des protéines basée sur la spectrométrie de masse. Le « Selected Reaction Monitoring » (SRM), une analyse protéomique qui permet de déterminer de manière fiable et en un temps record une sélection précisément définie de protéines dans des échantillons d’analyse complexes, a été élue méthode de l’année 2013 par la célèbre revue spécialisée « Nature Methods ». Aujourd’hui, elle est utilisée par les biotechnologistes du monde entier et des entreprises spécialisées vendent du matériel et des logiciels spécifiques à cet effet. En 2011, Madame Picotti a été nommée professeur à l’EPFZ. Elle dirige désormais un groupe de recherche de 20 personnes.
Elle a reçu à deux reprises un financement du Conseil européen de la recherche (ERC) et a remporté en 2019 la médaille d’or de l’EMBO, qui récompense les réalisations internationalement reconnues dans les sciences de la vie. En 2020, elle a reçu le prix Rössler, la distinction la mieux dotée de l’EPFZ avec 200’000 francs, qui a été rendue possible grâce à une donation de Max Rössler, alumnus de l’EPFZ, à ETH Foundation. Elle est l’autrice de plus de 100 publications, dont beaucoup sont parues dans les revues spécialisées les plus connues. Paola Picotti est mariée et mère de deux fils.