Les quotes-parts successorales et les réserves héréditaires des descendants
Le droit suisse de la famille et des successions part du principe que le lien familial le plus étroit est celui qui unit les parents à leurs enfants. Cette chaîne peut être prolongée jusqu’aux grands-parents, aux arrière-grands-parents, aux petits-enfants, aux arrière-petits-enfants, etc. – on parle d’ascendants ou de descendants en ligne directe. Il est donc logique que les descendants, en tant que plus proches parents survivants (1ère parentèle), participent également à la succession.
Sur la base de cette présomption, les descendants n’ont pas seulement une part successorale légale si la défunte n’en a pas disposé autrement. Ils bénéficient également d’un droit successoral particulièrement protégé, la réserve héréditaire. Ils ne peuvent en être privés que dans des cas exceptionnels et à certaines conditions.
Depuis la révision du droit des successions, qui est entrée en vigueur début 2023, la réserve héréditaire des descendants s’élève à la moitié de leur droit légal à la succession. Les testateurs et testatrices peuvent utiliser la marge de manœuvre – qui doit hériter de quelle part de la succession – en rédigeant des dispositions pour cause de mort, c’est-à-dire un testament (disposition de dernière volonté) ou un pacte successoral contenant des dispositions sur la répartition de la succession. Il peut y être prévu sans problème que les héritiers réservataires recevront davantage ou moins que leur part successorale légale. Seule la réserve héréditaire ne peut en principe pas être réduite ou supprimée – pour les exceptions, voir ci-dessous.
Le droit successoral légal ne peut pas être quantifié de manière générale, car il dépend du nombre de cohéritières et de cohéritiers. La réserve héréditaire ne comporte pas non plus un droit sur des biens spécifiques. En effet, elle porte toujours sur une part de la valeur totale de la succession au moment du décès du de cujus. En règle générale, plus il y a de cohéritiers, plus la part successorale légale et donc la réserve héréditaire sont faibles.
Un exemple pour illustrer
Antonia, la défunte, est veuve et dispose d’un actif successoral total de 1 million de francs. Ses seuls héritiers sont sa fille Bianca et son fils Claudio. Sans disposition pour cause de mort, chacun des deux enfants hérite de CHF 500’000.
Les réserves héréditaires s’élèvent à CHF 500’000 * ½ = CHF 250’000 chacune. La quotité disponible s’élève ainsi à CHF 500’000.
Considérons maintenant une autre variante, dans laquelle le fils Claudio est prédécédé et ses enfants Daniela et Ernesto, les petits-enfants d’Antonia, héritent à sa place :
Dans ce cas de figure, Bianca reçoit CHF 500’000 et Daniela et Ernesto reçoivent chacun la moitié de la part successorale de Claudio, soit CHF 250’000 chacun. Les réserves héréditaires s’élèvent à CHF 250’000 pour Bianca et à CHF 125’000 chacun pour Daniela et Ernesto.
Quelles sont maintenant les conséquences d’une réduction ou d’une suppression injustifiée des réserves héréditaires ? Au départ, il n’y en a aucune.
En effet, une violation des réserves héréditaires doit être invoquée par les héritiers lésés dans leur réserve au moyen de l’action en réduction. Ceci n’est possible qu’après l’ouverture de la succession. L’action en réduction est une action successorale visant à rétablir ou à compléter les réserves héréditaires impératives. À cette fin, les avantages des héritiers et des légataires qui reçoivent « trop » sont réduits proportionnellement. Une violation des réserves héréditaires peut être le résultat non seulement d’une disposition pour cause de mort, mais également de libéralités entre vifs telles que des donations, des avancements d’hoirie, des soultes ou des libéralités à titre de liquidation anticipée de droits héréditaires. Celles-ci peuvent également être contestées au moyen de l’action en réduction.
Cependant, il existe également des cas dans lesquels certaines héritières ou certains héritiers ne reçoivent pas le montant de leur réserve héréditaire mais ne peuvent pas non plus ouvrir une action en réduction. Nous vous présentons brièvement les cas les plus importants : il s’agit de la renonciation à succession à titre gratuit, de la renonciation à succession à titre onéreux ainsi que de l’exhérédation et de l’indignité successorale.
La renonciation amiable à la réserve héréditaire
Une possibilité de se débarrasser de la restriction de la liberté de disposer qu’engendrent les réserves héréditaires est de conclure un pacte de renonciation à succession (également appelé « pacte successoral négatif »). La testatrice et ses héritiers conviennent alors que ces derniers renoncent à tout ou partie de leur droit successoral. Le pacte de renonciation à succession est soumis à des prescriptions de forme particulières, en vertu desquelles il doit être passé en la forme authentique en présence des parties contractantes et de deux témoins. En tant qu’acte juridique multilatéral, un pacte successoral a force obligatoire pour toutes les parties dès le moment où il est conclu et il ne peut en principe être annulé ou modifié qu’avec le consentement de toutes les parties.
Le pacte de renonciation à succession à titre gratuit
Dans sa forme de base, le pacte de renonciation à succession est conclu à titre gratuit, ce qui signifie qu’une héritière ou un héritier réservataire renonce sans contrepartie à des droits successoraux, notamment à sa réserve héréditaire. La renonciation à succession a force obligatoire, de sorte que les évolutions ultérieures du patrimoine du défunt n’affectent pas sa validité. Cela signifie que la renonciation demeure valable même si la succession comporte finalement davantage d’actifs que ce qui était envisageable au moment de la renonciation à succession.
Il est possible de renoncer non seulement à la totalité de la réserve héréditaire, mais également à une partie seulement de celle-ci. Il est également possible de soumettre la renonciation à succession à des conditions, par exemple à la condition qu’une autre personne déterminée reçoive une part successorale à la place. Lorsque le pacte successoral désigne certains héritiers en lieu et place de la personne qui renonce, la renonciation devient caduque si les héritiers ainsi institués n’acquièrent pas la succession.
Une héritière qui a valablement renoncé à ses droits n’est pas prise en compte dans la succession. La personne qui a renoncé est ainsi traitée comme si elle n’avait pas survécu au de cujus. Si le pacte de renonciation à succession n’en dispose pas autrement, la renonciation est également opposable aux descendants de la personne qui renonce, ce qui signifie qu’ils ne bénéficient pas de la renonciation et n’ont aucun droit sur la succession.
Le pacte de renonciation à succession à titre onéreux
Outre la renonciation à succession à titre gratuit, la loi prévoit également la variante de la renonciation à succession à titre onéreux. Dans ce cas de figure, la renonciation est liée à une contre-prestation du de cujus. Cette contre-prestation ou indemnité peut être promise ou versée du vivant du de cujus ou à son décès.
Le montant de la contre-prestation ne doit pas nécessairement correspondre à la valeur à laquelle il est renoncé. Elle peut ainsi être de moindre ou de plus grande valeur. Elle ne peut toutefois pas être infiniment grande, car les libéralités entre vifs sous forme d’indemnités ou de pactes de renonciation à succession à titre onéreux sont également ajoutées à la succession. Si elles violent les réserves héréditaires d’autres héritières ou héritiers, elles sont ainsi soumises à l’action en réduction décrite ci-dessus.
Un pacte de renonciation à succession à titre onéreux est une solution particulièrement conseillée lorsque les descendants ont besoin d’une somme d’argent importante et qu’une donation n’apparaît pas opportune. Les cas d’application typiques sont l’indépendance financière visée par un enfant adulte, l’achat d’un appartement en propriété ou la construction d’une maison.
Reprenons l’exemple ci-dessus :
Antonia, la testatrice, conclut un pacte de renonciation à succession à titre onéreux valable avec son fils Claudio, selon lequel Claudio reçoit immédiatement CHF 300’000.- en espèces et il renonce en contrepartie à tous ses droits successoraux, y compris sa réserve héréditaire.
Dans ce cas, Claudio (ainsi que ses enfants Daniela et Ernesto) est exclu de la succession et sa sœur Bianca reçoit, au décès d’Antonia, l’intégralité de la succession en tant qu’héritière unique. Si rien ne change dans la situation patrimoniale, cela représente encore CHF 700’000.-. Claudio et ses enfants ne peuvent pas faire valoir une violation de leur réserve héréditaire.
Suppression unilatérale de la réserve héréditaire
A certaines conditions, les testatrices et les testateurs peuvent supprimer unilatéralement la réserve héréditaire de leurs descendants. La quotité disponible augmente ainsi de la part successorale supprimée.
Il faut distinguer cette situation de la répudiation, par laquelle les héritiers (réservataires) renoncent de leur propre volonté à une part successorale à laquelle ils auraient droit. La répudiation est généralement choisie lorsqu’il y a plus de dettes que d’actifs dans la succession, c’est-à-dire lorsque le défunt est surendetté.
exhérédation
L’exhérédation est l’une des manières de supprimer la réserve héréditaire. En cas d’exhérédation valable, la part de l’exhérédé(e) revient, sauf disposition contraire du défunt, aux héritiers légaux, comme si la personne exhérédée ne lui avait pas survécu.
L’exhérédation est parfois brandie comme menace par les parents en tant que conséquence d’un mauvais comportement des enfants. Il ne faut cependant pas oublier que la loi n’autorise l’exhérédation qu’à des conditions strictes. On distingue l’exhérédation pénale, plus pertinente en pratique, et l’exhérédation préventive, moins courante.
D’un point de vue formel, une disposition pour cause de mort qui mentionne le motif de l’exhérédation est toujours nécessaire. Si aucun motif n’est indiqué ou si celui-ci n’est pas autorisé, l’exhérédation non valable est traitée comme une limitation à la réserve héréditaire, ce qui signifie que la personne exhérédée reçoit certes sa réserve héréditaire, mais rien de plus.
La loi limite les causes objectives de l’exhérédation pénale à deux cas de figure. L’exhérédation est admise, d’une part, lorsque la personne exhérédée a commis une infraction pénale grave contre le défunt ou l’un de ses proches et, d’autre part, lorsque la personne exhérédée a gravement failli aux devoirs que la loi lui impose envers le défunt ou sa famille.
L’exhérédation préventive est dirigée contre les descendants surendettés. Elle sert à préserver le patrimoine du défunt et, par conséquent, elle doit empêcher que le patrimoine hérité revienne directement aux créanciers des descendants surendettés.
Une exhérédation peut être révoquée par la testatrice de son vivant, en supprimant le passage correspondant dans la disposition pour cause de mort ou en abrogeant la disposition dans son intégralité.
Reprenons une dernière fois l’exemple ci-dessus
Antonia, la défunte, laisse un testament dans lequel elle exhérède son fils Claudio, « car il ne s’est jamais occupé de son père atteint de démence ».
Antonia a exhérédé son fils en raison d’un manquement grave aux obligations du droit de la famille. Par conséquent, Claudio n’est pas considéré comme un héritier et ne peut pas faire valoir de droit à la réserve héréditaire. La succession d’Antonia est partagée entre sa fille Bianca et ses petits-enfants Daniela et Ernesto.
Si la cause n’est pas suffisante ou si elle ne correspond pas à la réalité, Claudio pourrait tout de même exiger sa réserve héréditaire. Le reste de la succession serait à nouveau réparti entre Bianca, Daniela et Ernesto.
L’indignité successorale
L’indignité successorale est une autre manière dont les descendants – ou d’autres héritiers – peuvent perdre leur droit à la réserve héréditaire. Il s’agit d’une sorte de « solution légale de secours » pour les cas où le testateur n’est pas (ou plus) en mesure de prévoir une exhérédation valable. En même temps, on suppose que, compte tenu des circonstances, sa volonté serait que la personne indigne d’hériter ne participe pas à la succession. L’indignité successorale ne vaut que pour la personne indigne d’hériter elle-même. Elle est traitée comme si elle était prédécédée et ses descendants la représentent.
Les causes d’indignité successorale :
- le meurtre intentionnel ou la tentative de meurtre intentionnelle du défunt,
- le fait de mettre intentionnellement le défunt dans un état d’incapacité permanente de tester,
- la manipulation d’une disposition pour cause de mort par dol, menace ou violence, ainsi que
- la dissimulation ou la destruction intentionnelle et irrémédiable d’une disposition pour cause de mort.
Comme l’exhérédation, l’indignité successorale peut également être annulée, de manière informelle toutefois par le pardon de la testatrice ou du testateur.
L’essentiel en bref
- Les descendants sont considérés comme les membres de la famille les plus proches. Par conséquent, ils sont des héritiers légaux avec une réserve héréditaire particulièrement protégée. Jusqu’en 2022, la réserve héréditaire correspond aux trois quarts du droit successoral légal mais, à partir de 2023, plus qu’à la moitié de celui-ci. Cette réserve héréditaire peut être violée par des libéralités entre vifs ou par des dispositions pour cause de mort. Si tel est le cas, les héritiers réservataires peuvent obtenir le rétablissement de leur réserve héréditaire au moyen de l’action en réduction.
- Une manière de supprimer les réserves héréditaires à l’amiable est de conclure un pacte de renonciation à succession, lequel peut être conclu à titre onéreux ou à titre gratuit et peut être soumis à conditions. Le pacte de renonciation à succession à titre onéreux est également appelé libéralité faite à titre de liquidation anticipée de droits héréditaires.
- La réserve héréditaire peut être supprimée contre la volonté des héritiers réservataires par exhérédation ou par indignité successorale. Pour cela, il faut que les héritiers réservataires aient commis une faute qualifiée. L’exhérédation ou l’indignité successorale n’est jamais possible sans raisons, mais elle peut toujours être révoquée par le testateur.
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